mardi 27 mars 2018

Démocratie des bienportants

Pour qu’il y ait des humains, des Français par exemple, pour que la société soit pérenne, pour que la Nation fonctionne, il faut enfanter. Cette Nation a besoin pour exister de renouveler en permanence ses citoyens-administrés, car un grand nombre rejoint le royaume des vers au cours de l’année. Par nature, malheureusement, la fabrique d’associés-citoyens n’est pas fiable. Un taux important de bébés ne passe pas le contrôle de la perfection, à vrai dire la totalité. Mais il faut faire avec. L’humain se contente de peu pour affirmer qu’il est le plus beau, le plus fort, le plus intelligent, et ça évidemment, ça n’est pas difficile. Le problème ce sont ceux qui sont franchement loupés, et comme nous avons inventé la morale et les droits, inutile de songer à s’en débarrasser, la Loi l’interdit. Ces handicapés sont humains quoiqu’on en dise. Mais pourquoi ne les entend-on pas plus ces bougres de mal foutus qui nous encombrent, alors qu’ils sont si nombreux, des millions rien qu’en France ?

Qui court le plus vite, qui a les plus gros biceps, la plus grande gueule ? Le bienportant, naturellement ! Qui souffre, qui cache sa misère physique ou mentale par timidité ou honte, qui est muet ? Le mal portant évidemment !

Le pouvoir appartient aux bienportants. Tant pis pour les autres. Vous les malportants avez été fabriqués pour participer à l’aventure humaine, à la pérennité de l’espèce, à la concurrence sociale et internationale, et aussi un petit peu pour faire plaisir à maman/papa. Mais seuls les bienportants s’y amusent ou s’en amusent, parfois.

Quelle aventure ? Êtes-vous contents de vos aventures douloureuses ? Êtes-vous heureux de vos courses d’obstacles pour obtenir vos moyens de locomotions, vos lits d’hôpital, vos infirmières à domicile, vos médicaments dans une pharmacie de garde ? Salopards de handicapés qui vous dopez pour prendre nos places de bienportants !

Quelle pérennité ? L’espèce humaine n’est pas pérenne, car aucune ne l’est puisque la vie évolue constamment. Et s’il y avait une « espèce humaine », elle ne courrait aucun danger avec 8 milliards d’individus. L’évolution, n’est-elle pas un petit peu également une amélioration ? Les guerres que nous produisons pour montrer qui est le meilleur peuple guerrier ne démontrent certainement pas l’intelligence des belligérants, et cela produit du handicap à la pelle. Nous ne concourrons donc pas pour une évolution intellectuelle, mais pour le meilleur fabricant d’outils d’extinction de peuple et de désertification des sols.

Quelle concurrence ? Celle entre les associés. Celle entre les nations. Mais comment est-ce que ça pourrait ne pas capoter un tel système ? Tout est fait pour que la bataille finisse selon le principe animal : le plus grand prédateur abandonne la place faute de proie. La boite de Pétri est nettoyée, plus rien à consommer, donc plus de consommateurs.

Quel plaisir ? Celui de maman et papa qui en vous voyant se sont mis à pleurer comme s’il n’était pas prévisible que vous puissiez naitre handicapé. Ce n’est certainement pas pour votre plaisir qu’ils vous ont fabriqué, car vous n’aviez aucun moyen de refuser l’invitation.Viens tel que nos gènes vont te construire ! Viens, petit monstre de Frankenstein ! Arrive esclave !

Or sur la planète tout le monde est responsable selon la Loi, donc vous êtes responsables de vos handicaps, vous devez donc payer pour ça. Vous encombrez les bienportants. Pourquoi refusez-vous de marcher au pas comme eux tous ? Vous êtes des grains de sable dans l’horloge. Vous gênez. C’est sans doute pour ça qu’ils vous oublient, qu’ils se bouchent les yeux et les oreilles. 

Ce sont ceux qui sont actifs et bien portants qui font les lois. Avez-vous déjà vu des parlementaires dans des fauteuils roulants, dans des lits d’hôpitaux ? Probablement un ou deux, et pas très souvent depuis la République. Les fauteuils des assemblées sont-ils faits pour les accueillir ? Mais quel est le pourcentage de handicapés dans le pays ? Qui les représente ? Ne devrait-il pas y avoir le même pourcentage de handicapés au parlement que dans la Nation ? Car les handicapés ont des droits spécifiques.

Ne dit-on pas qu’il devrait y avoir autant de femmes que d’hommes au gouvernement ? Les femmes handicapées de leur sexualité risquant leur vie quand elles procréent. Car « on » oublie ce très grand risque. Au fait touchent-elles une prime de risque nos mères ? Mais enfanter est-il un besoin, un désir, un plaisir, un travail, un devoir, un pouvoir, une obligation, une nécessité personnelle ou sociale ?

Ne prétendez pas que la nation est une patrie, si vous laissez le moindre de vos associés-citoyens dans la merde, si vous laissez fabriquer des handicapés (de naissance). La Patrie n’est pas ma mère, c’est mon général en chef des armées de la République. C’est mon fisc. C’est mon patron. Le père Patrie n’est pas une démocratie puisqu’il est souverain, roi d’une nation souveraine. Pourquoi devrais-je appeler Patrie la Nation qui m’a foutu dans la merde ?

Ne prétendez pas être humaniste si vous faites prendre un risque à votre enfant, risque que vous n’auriez certainement pas pris pour vous-mêmes. Un humaniste ne fait pas courir de risques à autrui, il ne fait donc pas d’enfant et encore moins pour l’installer dans ce monde grotesque. Celui qui fait un enfant est un animaliste. Et si vous êtes humaniste comment pouvez-vous m’imposer vos buts, c’est-à-dire me contraindre à exister (me fabriquer) pour m’inclure dans votre système en me mettant devant le fait accompli d’exister ? Rame, galérien, c’est mon aventure et c’est celle que je t’impose.

Vos parents vous doivent la perfection absolue de votre corps de votre intellect et du monde dans lequel ils vous installent, dans lequel ils vous invitent. Ils vous ont pourtant gratifié de toutes vos imperfections, tous vos défauts physiques et mentaux, et ce monde cauchemardesque.

La démocratie des bienportants est comme la démocratie des villes, les plus nombreux imposent leur loi aux minorités. Quand deux villes décident de construire une autoroute pour les relier, les paysans sur le parcours n’ont pas grand espoir de s’opposer à la déclaration d’utilité publique. Mais les paysans nourrissant les urbains, ils n’ont à craindre que l’insouciance urbaine. Ce n’est pas le cas des malportants, ils sont à charge de la société sans avoir demandé d’en être une puisqu’ils n’ont pas demandé d’exister pour le service parental et social. Leurs handicaps sont des dommages collatéraux de la guerre de la vie contre la vie. Les bienportants s’estiment heureux d’avoir échappé aux nombreux handicaps que la procréation réserve en cadeau à tout nouvel être vivant.

Une fois qu’il a échappé au mauvais sort, le bienportant n’y pense plus. Ou plutôt il a souvent une vive réaction envers le handicapé, comme s’il lui reprochait d’exister. Les enfants et les idiots ont cette réaction de rejet très jeune. Ils invectivent, se moquent, poursuivent de sarcasme quand ils ne jettent pas la pierre. Les plus vieux semblent penser : pourquoi ne te suicides-tu pas ? Pourquoi supportes-tu cette vie misérable ? Pourquoi gâches-tu mon paysage par ta présence ? Pourquoi me montres-tu que j’aurais pu naitre tordu ? Pourquoi me rappelles-tu que je peux devenir comme toi ? Pourquoi dois-je payer des impôts pour ta subsistance ? Pourquoi encombres-tu mon toboggan fatal ?

La démocratie actuelle est une démocratie de type athénienne, la démocratie des possédants. Ceux qui possèdent la bien portance. Ceux qui profitent de leur bonne fortune physique et mentale pour ajouter une double peine aux malportants, celle de pouvoir s’enrichir sans autre mérite que le sort qui les a gavés provisoirement de bienêtre approximatif. Et les esclaves malportants qui supportent le poids de leur héritage défectueux. Ils ont déchargé les bienportants du fardeau des handicaps qu’ils se coltinent à longueur de journée. Les handicapés sont les dockers du malheur.

La démocratie est un système de relation entre humains supposés libres et égaux dans un territoire donné quand ils sont trop nombreux pour s’entendre sans une gestion légalisée et contrôlée de leurs actions.

Vous les handicapés, ne vous sentez-vous pas lésés à la base ? Réduction de vos libertés fondamentales et de l’égalité de naissance. Dès votre premier souffle, la démocratie des bienportants vous berne. Ils ne vous demanderont pas si vous êtes heureux d’exister et de vos handicaps. Pourquoi le feraient-ils ? Vos handicaps sont normaux, puisque ça a toujours été ainsi. C’est la Nature, c’est comme ça, elle est imparfaite. Autrefois, les animaux vous auraient mangé. Mais puisque c’est naturel et normal, acceptez gentiment votre sort. Vous n’allez pas en plus de mal vivre, ennuyer les bienportants pour qu’ils supportent votre enfer quotidien ? Eux, ils ont une Nation, une horloge, à faire tourner… C’est déjà bien qu’ils vous accordent le minimum vital. N’en demandez pas trop.

Le malportant est comme un sacrifié sur l’autel de la Nation en faveur du bienportant. Pour que la Nation France obtienne ses sept-cent-mille à peu près bienportants par an il faut lancer la fabrication de huit-cent-mille bébés.

N’entendez-vous pas, Madame et Monsieur Bienportant, ce cri unanime de douleur des milliards de malportants que vous avez enfanté pour satisfaire vos désirs personnels ? Une fois que vous avez fabriqué un être souffrant, comment défaire la souffrance ?


Fin – E. Berlherm


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